Avec trois ou quatre couleurs franches et quelques formes simples, elle compose des images gorgées de soleil et de vitamines, tellement dynamiques qu’elles semblent parfois s’animer toutes seules. Rencontre avec Gwladys Morey, illustratrice dopée à la rumba cubaine et affichiste multi-récompensée.
En regardant tes images, deux mots viennent à l’esprit : couleur et mouvement. Qu’est-ce qui te vient en premier : le mouvement des lignes ou bien la palette de couleurs ?
Je commence par le trait. Mes images se construisent toujours à partir d’une idée : je visualise d’abord des personnages et des éléments et je réfléchis à la manière de les agencer, de synthétiser l’idée. Je fais un croquis, puis deux, trois, quatre voire dix, parfois en décalquant l’un sur l’autre et c’est ainsi que la composition définitive prend forme. Bien sûr, j’ai quelques idées de couleurs dès le départ, mais le choix final ne se fait qu’une fois la composition achevée. Assez souvent, je dois m’arranger avec des contraintes liées au support, à la mise en page ou à la technique d’impression. En sérigraphie, par exemple, je travaille avec deux ou trois couleurs seulement et il faut que leur superposition fonctionne bien. La couleur est toujours très dépendante de l’environnement graphique et technique.
Tu utilises peu de couleurs. Le choix des couleurs est-il pour toi une évidence ou le résultat d’essais et de tâtonnements ?
Je dois avouer que j’ai des couleurs de prédilections : les couleurs vives, les gammes tranchées, pétillantes et chaudes, le jaune, le corail, les bleus profonds. Le fait de revenir souvent aux mêmes couleurs me permet de ne pas trop me perdre… Parfois, malgré tout, je peux bloquer pendant des heures sur deux nuances de jaune. Dans ces cas-là, je m’éloigne un moment de l’ordinateur et, en général, au retour, je change tout !
Parfois, tes compositions peuvent faire penser au cubisme de Fernand Léger. Est-ce que tu as été marquée, durant ta formation, par les avant-gardes du XXe siècle ?
Si c’est le cas, ce n’est pas de façon consciente. Après mes études, j’ai même fait un rejet assez marqué de cette période de l’Histoire de l’Art qu’on nous avait tellement rabâchée. En réalité, je cherche l’inspiration partout, dans la photographie et dans la mode, sur les affiches que je croise. Récemment, je viens même de faire l’acquisition d’un livre sur les timbres soviétiques… J’adore !
Quel a été ton parcours de formation ?
C’est un parcours de graphiste : BTS Communication visuelle puis DSAA Arts et Techniques de communication à l’École Estienne, à Paris. Entre les deux, j’ai fait une année à La Cambre, à Bruxelles. C’est là que j’ai véritablement appris à me lâcher dans le dessin, à expérimenter, à comprendre tout ce que je pouvais faire de cette liberté.
En quoi ta formation de graphiste a-t-elle marqué ton approche de l’illustration ?
À l’évidence, cela m’a apporté une certaine exigence dans l’approche du concept et dans l’art de la synthèse. J’ai dû apprendre à faire chauffer le cerveau pour aller à l’essentiel, dans le message comme dans l’image…
Tu as vécu cinq ans à La Havane. Qu’as-tu appris du graphisme cubain ?
Le génie de l’économie de moyens, tant dans les idées que dans les couleurs. Les Cubains savent utiliser la contrainte matérielle pour donner une orientation au travail mais aussi assumer la simplicité, une forme de minimalisme. En France, on se prend parfois la tête pour justifier des concepts compliqués et le résultat y perd en spontanéité. À Cuba, on intellectualise moins et cela produit des affiches généreuses, joyeuses…
Le sport et la danse sont très présents dans tes images. Et dans ta vie ?
C’est vrai, depuis mon séjour à Cuba, je suis fascinée par les danseurs, les rythmes et le mouvement. Pourtant, côté piste de danse, je m’emmêle totalement les pinceaux ! En ce qui concerne le sport, c’est davantage lié au hasard des commandes qu’à une quelconque pratique personnelle…
Tu as travaillé la sérigraphie à Cuba, est-ce que cette technique a influencé la façon dont tu composes aujourd’hui tes images?
Je n’ai jamais imprimé moi-même à Cuba, mais c’est là que j’ai commencé à découvrir cette technique très artisanale, en effet. Au début je me suis fait pas mal de nœuds au cerveau. Mais il est clair que cette approche de l’image en zones bien délimitées, avec des couches superposées, un nombre réduit de couleurs, et la nécessité de simplifier qui en découle, ont largement influencé mon travail actuel.
Selon toi, qu’est-ce qui fait une bonne affiche ?
Elle doit raconter une histoire en une seconde et faire entrer dans un univers. À titre personnel, j’aime les images simples, assez brutes, qui laissent deviner la patte de l’auteur. Le graphisme élitiste, froid : très peu pour moi !
Fin 2017, tu as été plusieurs fois primée pour les visuels des affiches de la Mairie de Paris sur le tri. Que t’ont apporté cette campagne et ces récompenses ?
De la visibilité. Un peu de légitimité, aussi… Et beaucoup de plaisir !